Paneb n'est plus. Paneb ne respire plus.
Les pleureuses, à l'entrée de sa demeure, hurlent, pleurent, se griffent le visage, se tirent les cheveux. Le vieux vizir est mort.
Le corps allongé sur un palanquin de bois, recouvert d'un lin blanc, est porté par quatre prêtres chauves vers le temple où le grand prêtre l'attend, incarnation vivante d'Anubis.
Les lourdes portes du temple se referment sur la ville avec un bruit sourd, soulevant la poussière.
Les prêtres psalmodient tandis que d'autres encensent le parcours du corps sans vie.
Il fait frais dans la pièce d'embaumement, et un cocktail de parfums d'épices, d'huiles, semble faire oublier le drame.
Le drame ? Non, il n'en s'agit pas d'un. Seule l'enveloppe charnelle s'est envolée. L'âme, elle, est éternelle.
Paneb, dénudé, est déposé sur la table d'embaumement en forme de lion, la table "léontomorphe", légèrement inclinée et rainurée afin que les liquides de la toilette funéraire s'écoulent.
Autour de la dépouille, des hommes s'affairent. Ils préparent les silex tranchants, les diverses épices ; sur une table se trouvent les quatre vases canopes dont chaque couvercle représente la tête d'un des fils d'Horus, les génies. À tête humaine, c'est Amset. À tête de faucon, Qebesennouf. À tête de chien, Douamoutef. Et à tête de singe, de cynocéphale, Hapi.
Le grand prêtre embaumeur organise et ordonne le travail, coiffé de l'imposant masque d'Anubis. Nul ne devait voir son visage.
L'embaumement peut commencer.
Dans un premier temps, à l'aide d'un crochet long et fin en fer, un embaumeur immole le cerveau de Paneb en passant l'outil par les narines et le faisant tourner. Puis, avec une petite cuillère, il récupère la "bouillie" qui est jetée.
Par le nez, on lui injecte un savant mélange d'épices. Le nez est bouché par de la cire, ainsi que les oreilles.
Vient maintenant le moment de s'occuper du corps.
Un scribe, le calame à la main, trace une longue ligne sur le thorax de Paneb.
Alors, le "coupeur", le paraschyte, tranche la chair en profondeur à l'aide d'un silex bien affûté. L'incision faite, il se recule et laisse la place aux professionnels de l'embaumement.
Les taricheutes, "embaumeurs", extraient les viscères. Seuls les reins et le coeur ne sont pas touchés et restent à leur place. Le coeur est l'âme, l'organe considéré comme le plus important.
L'estomac, le foie, les intestins et les poumons sont soigneusement lavés avec du vin de palme et des liqueurs. Un embaumeur tend les quatre organes à un momificateur qui, délicatement, enveloppe chacun d'eux de bandelettes de lin.
Dès qu'un "paquet" est terminé, il le donne à un de ses confrères qui le dépose dans un vase canope et le ferme par le couvercle.
L'embaumeur Anubis surveille toujours en clamant des formules magiques.
Le corps de Paneb est lavé et garni de myrrhe, cannelle, gomme de cèdre et bien d'autres onguents et purifiants.
Cette première étape terminée, Paneb se doit d'être plongé dans une cuve et se noyer dans un bain de natron (carbonate de sodium, extrait des mines de Wadi Natron sur la côte méditerranéenne égyptienne) durant soixante-dix jours.
Le corps se dessèche progressivement. Le natron déshydrate tout le corps de Paneb dont les bras ont été croisés sur le torse, ce qui donne au défunt la posture d'Osiris. Ses traits sont reconnaissables, il a tout simplement maigri.
Les soixante-dix jours passent.
Paneb est débarrassé du natron et lavé à nouveau.
La seconde phase est arrivée : la momification.
Paneb, séché, repose sur un appui-tête et un support de pieds afin que les momificateurs puissent passer les bandelettes autour du corps sans être gênés et sans l'abîmer.
Les coachytes, "momificateurs", enveloppent totalement le vizir, de la tête aux pieds, de longs mètres de bandelettes de lin gorgées de gomme arabique.
Ils prennent soin de déposer les amulettes sur le corps, des scarabées sur le coeur, des oudjat (symbole de l'oeil d'Horus) d'émeraude, des bijoux d'or, de pierres précieuses et semi-précieuses, de lapis lazuli, cornaline...
Paneb est prêt à rejoindre l'Au-delà, l'Am-douat.
Les prêtres-out et le prêtre lecteur entourent Paneb. Des passages du "Livre des morts" sont chantés.
Le corps est alors déposé dans le sarcophage de bois décoré. Avant de le sceller par un couvercle sculpté, Anubis vient face au visage de Paneb enrubanné et porte symboliquement à la bouche, aux oreilles, au nez et aux yeux du défunt l'herminette pour redonner les sens à Paneb. Paneb quitte le temple.
Sa famille, ses amis, les pleureuses, les prêtres suivent le cortège jusqu'à sa tombe.
Diverses offrandes lui sont faites : jarres de bière et de vin, sur les tables d'offrandes viande, volaille et poisson, des corbeilles de fruits, du pain, des meubles, des coffrets d'oushebtis...
Le prêtre "sem" vêtu de jaune attend, assis, que le sarcophage soit mis dans le lourd caveau de granit dont le couvercle laisse une ouverture suffisante pour glisser le corps. Avant la fermeture, le prêtre "sem" dit au visage de Paneb : "Mon père, mon père !" afin qu'Osiris l'entende et l'accueille dans l'autre monde.
Le couvercle est poussé, scellant le caveau à tout jamais, laissant Paneb face aux douze portes, combattre Apopis, et pour "la pesée du coeur de Paneb", le jugement face à Osiris.
Tout le monde quitte la sépulture et un dernier prêtre balaie tout le sol de la tombe à l'aide d'une branche de palmier afin de ne pas laisser de traces dans la demeure d'éternité, la laissant pure.
La porte extérieure est fermée.
Paneb avait toujours été bon dans la vie, digne de confiance, respectant Maât. L'Am-douat lui est offert.
Texte et photo © Sylvie Barbaroux
Le corps allongé sur un palanquin de bois, recouvert d'un lin blanc, est porté par quatre prêtres chauves vers le temple où le grand prêtre l'attend, incarnation vivante d'Anubis.
Les lourdes portes du temple se referment sur la ville avec un bruit sourd, soulevant la poussière.
Les prêtres psalmodient tandis que d'autres encensent le parcours du corps sans vie.
Il fait frais dans la pièce d'embaumement, et un cocktail de parfums d'épices, d'huiles, semble faire oublier le drame.
Le drame ? Non, il n'en s'agit pas d'un. Seule l'enveloppe charnelle s'est envolée. L'âme, elle, est éternelle.
Paneb, dénudé, est déposé sur la table d'embaumement en forme de lion, la table "léontomorphe", légèrement inclinée et rainurée afin que les liquides de la toilette funéraire s'écoulent.
Autour de la dépouille, des hommes s'affairent. Ils préparent les silex tranchants, les diverses épices ; sur une table se trouvent les quatre vases canopes dont chaque couvercle représente la tête d'un des fils d'Horus, les génies. À tête humaine, c'est Amset. À tête de faucon, Qebesennouf. À tête de chien, Douamoutef. Et à tête de singe, de cynocéphale, Hapi.
Le grand prêtre embaumeur organise et ordonne le travail, coiffé de l'imposant masque d'Anubis. Nul ne devait voir son visage.
L'embaumement peut commencer.
Dans un premier temps, à l'aide d'un crochet long et fin en fer, un embaumeur immole le cerveau de Paneb en passant l'outil par les narines et le faisant tourner. Puis, avec une petite cuillère, il récupère la "bouillie" qui est jetée.
Par le nez, on lui injecte un savant mélange d'épices. Le nez est bouché par de la cire, ainsi que les oreilles.
Vient maintenant le moment de s'occuper du corps.
Un scribe, le calame à la main, trace une longue ligne sur le thorax de Paneb.
Alors, le "coupeur", le paraschyte, tranche la chair en profondeur à l'aide d'un silex bien affûté. L'incision faite, il se recule et laisse la place aux professionnels de l'embaumement.
Les taricheutes, "embaumeurs", extraient les viscères. Seuls les reins et le coeur ne sont pas touchés et restent à leur place. Le coeur est l'âme, l'organe considéré comme le plus important.
L'estomac, le foie, les intestins et les poumons sont soigneusement lavés avec du vin de palme et des liqueurs. Un embaumeur tend les quatre organes à un momificateur qui, délicatement, enveloppe chacun d'eux de bandelettes de lin.
Dès qu'un "paquet" est terminé, il le donne à un de ses confrères qui le dépose dans un vase canope et le ferme par le couvercle.
L'embaumeur Anubis surveille toujours en clamant des formules magiques.
Le corps de Paneb est lavé et garni de myrrhe, cannelle, gomme de cèdre et bien d'autres onguents et purifiants.
Cette première étape terminée, Paneb se doit d'être plongé dans une cuve et se noyer dans un bain de natron (carbonate de sodium, extrait des mines de Wadi Natron sur la côte méditerranéenne égyptienne) durant soixante-dix jours.
Le corps se dessèche progressivement. Le natron déshydrate tout le corps de Paneb dont les bras ont été croisés sur le torse, ce qui donne au défunt la posture d'Osiris. Ses traits sont reconnaissables, il a tout simplement maigri.
Les soixante-dix jours passent.
Paneb est débarrassé du natron et lavé à nouveau.
La seconde phase est arrivée : la momification.
Paneb, séché, repose sur un appui-tête et un support de pieds afin que les momificateurs puissent passer les bandelettes autour du corps sans être gênés et sans l'abîmer.
Les coachytes, "momificateurs", enveloppent totalement le vizir, de la tête aux pieds, de longs mètres de bandelettes de lin gorgées de gomme arabique.
Ils prennent soin de déposer les amulettes sur le corps, des scarabées sur le coeur, des oudjat (symbole de l'oeil d'Horus) d'émeraude, des bijoux d'or, de pierres précieuses et semi-précieuses, de lapis lazuli, cornaline...
Paneb est prêt à rejoindre l'Au-delà, l'Am-douat.
Les prêtres-out et le prêtre lecteur entourent Paneb. Des passages du "Livre des morts" sont chantés.
Le corps est alors déposé dans le sarcophage de bois décoré. Avant de le sceller par un couvercle sculpté, Anubis vient face au visage de Paneb enrubanné et porte symboliquement à la bouche, aux oreilles, au nez et aux yeux du défunt l'herminette pour redonner les sens à Paneb. Paneb quitte le temple.
Sa famille, ses amis, les pleureuses, les prêtres suivent le cortège jusqu'à sa tombe.
Diverses offrandes lui sont faites : jarres de bière et de vin, sur les tables d'offrandes viande, volaille et poisson, des corbeilles de fruits, du pain, des meubles, des coffrets d'oushebtis...
Le prêtre "sem" vêtu de jaune attend, assis, que le sarcophage soit mis dans le lourd caveau de granit dont le couvercle laisse une ouverture suffisante pour glisser le corps. Avant la fermeture, le prêtre "sem" dit au visage de Paneb : "Mon père, mon père !" afin qu'Osiris l'entende et l'accueille dans l'autre monde.
Le couvercle est poussé, scellant le caveau à tout jamais, laissant Paneb face aux douze portes, combattre Apopis, et pour "la pesée du coeur de Paneb", le jugement face à Osiris.
Tout le monde quitte la sépulture et un dernier prêtre balaie tout le sol de la tombe à l'aide d'une branche de palmier afin de ne pas laisser de traces dans la demeure d'éternité, la laissant pure.
La porte extérieure est fermée.
Paneb avait toujours été bon dans la vie, digne de confiance, respectant Maât. L'Am-douat lui est offert.
Texte et photo © Sylvie Barbaroux
Sylvie Barbaroux • Romancière
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